Fatima Ouassak

L’écologie populaire et pirate

 

Le 7 mars 2023, CQNA a eu la chance de recevoir Fatima Ouassak afin de discuter des questions qui traversent ses ouvrages mais également des problématiques qui nous concernent comme le social et l’écologie. L’autrice de « La puissance des mères » et de plus récemment « Pour une écologie pirate », co-fondatrice de la première Maison de l’écologie populaire en France, nous a transporté à bord de son bateau de pirate voguant sur les questions d’écologies populaires mais toujours à travers un regard qui tend à dépasser les clivages disciplinaires, y mêlant ainsi les questions de genre, de classe et de race. 

Comme dit ci-dessus, Fatima Ouassak est co-fondatrice de la première maison de l’écologie populaire en France, plus précisément à Bagnolet. Le nom de celle-ci n’est pas anodin : Verdragon. Elle le dit haut et fort, le postulat que véhicule ce nom est d’imposer une image de puissance. Loin des mères sages, les mères dragonnes, elles, dérangent, se font entendre et se battent, notamment pour leurs enfants. 

 

Les mères dragonnes

 

Lors des échanges entre intervant·es et Fatima Ouassak, la question des enfants et des mères se posent, notamment via la question des quartiers populaires et des violences policières. Ce combat contre ces violences, c’est un combat de toutes les mères mais il est primordial de le mettre en perspective avec la question raciale. Elle qualifie le rapport qu’entretiennent la police et les institutions avec les enfants des quartiers populaires non-blancs comme un rapport de désenfantilisation. L’enfant innocent n’existe plus dans ce système, on ne lui permet plus l’erreur et l’infantilité, il est « menace ». Pour répondre à cette menace, ce même système va chercher à les assigner : « on ne veut pas de jeunes qui trainent dehors, ils n’ont rien à faire là ». Mais ce n’est pas tout, la société va attendre des mères des quartiers populaires de prendre le rôle de mère tampon. Fatima Ouassak entend par là, qu’on attend que les mères soient réduites à la fonction de réduction de la colère sociale, de demander à leurs enfants de raser les murs. C’est bien cette assignation à cette fonction qu’elle compte combattre via le front de mères, transformer ces mères tampons en mères dragonnes. Lorsqu’on observe l’instrumentalisation par l’extrême droite de l’image de la mère, qui a pour but d’enfanter des enfants blancs pour lutter contre – la fausse théorie – du grand remplacement, face à cela, nous devons nous réapproprier l’image des mères comme des mères organisées, fortes et ne se pliant plus face aux institutions ou aux menaces. 

 

L’écologie populaire et l’ancrage dans la terre

 

Un autre sujet primordial dans la pensée de Fatima Ouassak est celle de l’urgence climatique. Encore une fois, elle souhaite l’aborder à travers les quartiers populaires. A raison, car comme elle le rappelle, ce sont les habitant·es de ces quartiers qui sont les plus touché·es par cette urgence. Non seulement l’air y est plus pollué (proximité des grands axes routiers, moins d’espaces verts, etc.) mais l’accès à une alimentation de qualité y est plus difficile.

Fatima Ouassak nous fait remarquer que la question de la démocratie et de la mobilisation des classes populaires n’est pas assez posée. Est-ce qu’elles ont un pouvoir politique ? Il faut souligner que la question raciale et coloniale est une entrave à l’accès au pouvoir politique. En effet, la question écologique en est un exemple. On s’étonne du manque d’investissement des classes populaires dans ce combat alors qu’elles sont davantage impactées. Il est légitime de se demander pourquoi ? Tout d’abord, elle nous explique que l’idée que ces « classes » ne s’intéressent pas au climat est fausse, ceux-ci le font mais là où ils ont un ancrage dans la terre, ou plutôt, là où l’ancrage dans la terre est pleinement accepté. Ceux-ci se sentent fortement concernés lorsqu’il s’agit du pays d’origine mais quand il s’agit de la France ou de la Belgique, c’est plus difficile car comment voulez-vous protéger une terre qu’on ne vous autorise pas en vous répétant que vous n’êtes pas chez vous. De ce fait, la question de la mobilisation est étroitement liée à la question de l’antiracisme et par extension à la question de l’écologie. Il existe bien évidemment ci et là des processus de consultations des classes populaires. Mais bien souvent, leur parole a peu de pouvoir. Le constat est criant, il y a un besoin de réappropriation de la terre par ces classes, il faut reprendre cette question de la terre à l’extrême droite et ce, en articulant ces questions d’antiracismes et d’écologies. 

 

Comment se mobilise-t-on ?

 

Mais alors comment ? Comment se mobiliser ? Comment résister face à ce qu’il nous arrive ? Pour cela, Fatima Ouassak appelle à faire différemment et à changer l’imaginaire collectif. Passer des mères tampons, aux mères dragonnes. A associer l’écologie à l’utopie et à la liberté des pirates. Mobiliser les jeunes via ce qui leurs parlent : One Piece, des chasses aux trésors, etc… Se réapproprier l’espace public, parce qu’il nous appartient. Créer des espaces de militance joyeux et chaleureux ; donner envie est un socle pour la mobilisation. En associant les collectifs des quartiers populaires à ceux des quartiers pavillonnaires (c’est-à-dire des quartiers bourgeois). C’est d’ailleurs de cette manière que Front de mères et la maison Verdragon ont été capables de résister à la violence des attaques venant de forces politiques de gauche comme de droite. Être soutenus par des collectifs, d’autant lorsqu’ils sont considérés comme plus légitimes par les autorités locales. 

 

 

 

Pour aller plus loin

Ouvrages :

  • La puissance des mères : Pour un nouveau sujet révolutionnaire (édition La Découverte)
  • Pour une écologie pirate : Et nous seront libres (édition La Découverte)
  • Rue du passage (édition JC Lattès)