Olivier Hamant

Olivier Hamant et l’impasse du numérique :

 

Le 30 janvier 2023, CQNA a organisé une rencontre avec Olivier Hamant pour aborder une des trois recommandations issues des deux journées de colloque de septembre 2021 : le numérique.

Le choix de cette thématique s’ancre dans un moment politique particulier à savoir un projet d’ordonnance visant l’accélération de la numérisation des services publics en Région bruxelloise. L’objectif est d’approfondir la question de l’impact du numérique sur la fracture sociale, la démocratie mais également sur l’environnement. Biologiste, Olivier Hamant est le directeur de recherche à l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement, et travaille dans le laboratoire de reproduction et développement des plantes à Lyon. Il s’inspire du vivant pour appréhender notre futur, notamment au travers du concept de robustesse. Il considère que la suroptimisation des villes, la rationalisation des flux, la centralisation et l’hyperspécialisation nous mènent à long terme dans une impasse, nous bloquant les voies alternatives. Face à l’incertitude, il ne faut pas viser la performance mais une adaptabilité rendue possible par la grande diversité des éléments du système…. Passer des smart cities aux smart citizens 

 

Le tout numérique, une réponse maladroite

 

C’est à travers un dialogue entre Céline Nieuwenhuys (FdSS) et Daniel Flinkers (Lire et Ecrire) qu’Olivier Hamant nous déroule ses réflexions. D’emblée la question de la modernité est abordée, et très vite, prenant le cas de la numérisation, celui-ci la considère comme une réponse maladroite. En effet, si un problème est bel et bien identifié, la réponse, elle, semble répondre à la mauvaise question. Tout d’abord, il faut partir du postulat que nous vivons dans un monde en addiction et la performance est le credo de celui-ci. Or, ce monde de la performance, qui crée de l’addiction, ne peut fonctionner que dans un monde stable et en abondance. Mais nous le savons, et l’exemple du numérique est un exemple criant, nous sommes limité⸱es en ressources. Le numérique demande des matières premières comme le cuivre qui sont matériellement limités, de ce fait, le tout numérique semble une réponse inadaptée puisqu’elle est restreinte dans le temps par faute de moyen. 

Mais reprenons une vision plus macro, les crises que nous affrontons ne sont pas des éléments transitoires mais bien des éléments jouant le rôle de « bande d’annonce » des prochaines années. Ces instabilités, il faut apprendre à vivre avec, il faut sortir de l’aspirine qui masque les symptômes pour aller vers des solutions qui s’adaptent à notre seule certitude : l’instabilité. 

 

De l’instabilité à la robustesse

 

Ce monde instable demande de la robustesse. La robustesse est décrite par Olivier Hamant comme : « le moyen de maintenir le système stable malgré les fluctuations et de vivre avec ces fluctuations, […] c’est rendre opérationnelle la durabilité et la soutenabilité. » Cette robustesse, il a eu l’occasion de l’étudier chez les êtres vivants, elle se présente contre la performance, en antipode. Il ajoute qu’on ne peut être robuste et performant en même temps. 

Si on reprend la question du numérique, lorsqu’on crée cette solution, on fragilise toujours d’autres réponses non-numériques. La réponse à la pénurie des êtres vivants passe par la diversification et celle-ci passe par plus d’interactions. Lorsqu’on passe par une réponse unique comme le tout numérique, on gagne du confort à court terme mais elle écrase les autres réponses moins performantes en même temps, ce qui crée une perte de savoir-faire. Or l’interaction, la transmission de savoir-faire, elles, sont robustes contrairement à la performance. Un autre exemple est celui de l’agro-alimentaire, tout simplement. La performance serait l’utilisation de pesticides pour lutter contre les fluctuations mais ce genre de pratique est nuisible sur le long terme, nous sommes dans la performance et dans l’addiction. Or, la version robuste serait l’agroécologie, elle est certes moins efficace, moins directe mais plus robuste. Elle crée de la diversité et des interactions entre les êtres vivants. 

Mais comment faire vivre la robustesse dans un monde qui est addicte à la performance ? Olivier Hamant nous propose de nous pencher vers la technodiversité plutôt que le tout numérique. Effectivement, la technologie n’est pas mauvaise en tant que tel mais comme dit précédemment, les réponses sont maladroites et les questions mal posées. Il faut avoir une diversité de réponses, tantôt technologiques, tantôt manuelles pour être robuste dans un monde instable, et ce, afin d’éviter de créer un désert de « savoir-faire ». De plus, il faut renverser notre manière de construire les problèmes et les solutions à ces problèmes. En d’autres mots, Olivier Hamant appelle à se réapproprier le progrès, sortir de l’excès de contrôle, de l’optimisation à outrance via la robustesse. 

 

Les « Smartcity », pas si smart ?

 

A Bruxelles, certain⸱es parlent de « Smartcity ». Or pour Olivier Hamant, c’est encore une fausse bonne idée. Tout d’abord, le mot « smart » rend le débat impossible puisque sémantiquement parlant, il conditionne l’interrogation sur le concept, et par extension, sa réponse, à quelque chose d’intelligent. Néanmoins, ici, nous sommes encore dans une réponse de performance, de l’efficacité et de l’efficience. Ceux-ci partent du principe qu’il faut réduire les problèmes pour les résoudre. Or, résoudre un problème n’est pas le réduire, dans ce genre de situation, on risquerait juste d’en créer d’autres. Nous répondons encore de manière maladroite, privilégiant le confort à court terme vis-à-vis de la robustesse. De plus, il s’interroge sur le sort de ces « smartcities » en temps de guerre. Qu’en sera-t-il de nous dans une dictature si nous sommes tous et toutes fiché⸱es ? Qu’en sera-t-il d’une possible résistance ? 

 

Comment construire nos projets ?

 

Notre manière de fonctionner change notamment à travers notre rapport à la propriété et au capital. Avec la robustesse, tout s’inverse, il faut penser le modèle économique à travers les questions, les critères et les limites – qu’elles soient de nature social, matériel, de santé, etc. Si cela fonctionne alors les projets construisent le modèle économique. Actuellement, c’est l’inverse, le modèle économique construit les projets, nous pensons en termes de contrainte d’entrées et non de sorties. Or, notre système de performance se meurt doucement, nous cherchons toujours l’efficacité malgré la descente de la courbe de cette performance. Les deux systèmes s’affrontent et le bon sens paysan voudrait qu’on pense des solutions politiques robustes afin de perdre un minimum de savoir-faire. Quitter la centralisation du savoir, à travers la numérisation, vers de la robustesse. 

Si nous nous penchons sur l’idée de robustesse en lien avec le travail social. Olivier Hamant pense que les travailleur⸱euses du social sont des acteur⸱ices de la robustesse. En effet, le fait de baigner dans un milieu composé d’un public hétérogène et de chercher des solutions artisanales sont des caractéristiques de la robustesse. Ce monde du social, qui nous le savons que trop bien, a été fortement frappé par les crises successives. 

 

Pour aller plus loin

Ouvrages :

  • La Troisième Voie du vivant (édition Odile Jacob)
  • De l’incohérence : philosophie politique de la robustesse (édition Odile Jacob)
  • Antidote au culte de la performance : La robustesse du vivant (édition Gallimard)

Interventions :